Deux ans après la mise en service de sa première route recouverte de cellules photovoltaïque en Normandie, la filiale de Colas a déjà équipé une vingtaine de sites dans le monde. Quel premier bilan peut-on déjà dresser de cette initiative originale qui pourrait révolutionner le secteur routier ?
C’était il y a un peu plus d’un an. En décembre 2016, Ségolène Royal, alors ministre de l’Ecologie, inaugure la route solaire de Tourouvre-au-Perche, dans l’Orne. Long d’un kilomètre, ce tronçon recouvert de cellules photovoltaïques encapsulées dans de la résine pourrait fournir l’équivalent de la consommation en éclairage public d’une ville de 5.000 habitants, d’après les estimations de l’Ademe. La ministre imagine alors déjà le déploiement de routes à énergie positive sur l’ensemble du territoire et l’exportation de la technologie à l’étranger…
Doter une route de panneaux solaires n’est pas une idée neuve
La société américaine Solar Roadways a lancé le concept il y a près de dix ans. Des expérimentations ont également été lancées aux Pays-Bas et en Allemagne. Mais le tronçon de Tourouvre-au-Perche est une première mondiale par sa taille et fait de la France la pionnière en la matière.
Un projet qui génère de fortes critiques
Sauf que, aussitôt, les critiques fusent. En cause, la subvention de 5 millions d’euros accordée par l’Etat à ce projet porté par Wattway, une filiale du constructeur Colas. Trop cher et pas assez performant, affirment ses détracteurs. Une levée de boucliers qui n’étonne pas Daniel Lincot, directeur de recherche au CNRS et spécialiste du photovoltaïque. « Il est très classique en France de déconsidérer les innovations. Pour ma part, je suis ravi qu’une nouvelle technologie soit développée en France et non en Californie. Cette fois, nous avons pris un temps d’avance sur la concurrence. »
Un bilan financier mitigé
Qu’en est-il un peu plus d’an plus tard ? La route solaire a produit 149,4 mégawatts-heure (MWh) sur une année, soit 53 % des objectifs affichés par Wattway. Un résultat mitigé que la société explique par divers incidents, comme un orage qui a fait disjoncter l’installation. « Si on prend en compte les dalles qui ont fonctionné en continu, nous sommes à 85 %, se félicite Etienne Gaudin, directeur de l’entreprise. La différence avec nos estimations est due à l’usure et l’encrassement. Cette expérimentation nous conforte dans notre conviction que c’est une solution pertinente qui fonctionne. »
Toutefois, ses détracteurs ont dressé un nouveau bilan ce 18 Août dernier, toujours aussi mitigé. Ces derniers dénoncent production de seulement 409 kWh par jour en moyenne au lieu des 767 prévue initialement par le groupe d’experts ; soit 50% de moins. Cette surface aurait produit 150 mégawattheures (MWh) d’électricité sur un an et uniquement en milieu de journée.
Les 2800 m2 constituant le kilomètre de cette « route solaire » normande ont coûté 5 M€ hors taxes au contribuable français, soit près de 1800 € /m2 (contre 5 € / m2 pour l’asphalte). Le coût d’achat sur le marché de l’électricité étant d’environ 40 € / MWh, la valeur de cette production ressort à 6000€ par an ; soit environ 0,01% de rendement sur investissement… Si la durée de vie de cette portion de route solaire est de 10 ans, elle délivrera au total 1500 MWh ; ce qui correspond à 3400 €/MWh (85 fois le prix du marché !).
Et il est probable que des frais supplémentaires d’entretien viendront s’ajouter, compte-tenu des contraintes physiques que la route solaire doit subir notamment liées au passage des véhicules. Et il a déjà fallu remplacer 5% de la surface moins de 2 ans après seulement son inauguration.
Un projet français à la conquête du Monde
La filiale de Colas poursuit néanmoins la R & D pour améliorer les performances de son système. « Nous travaillons sur trois sujets : la robustesse des dalles, la facilité d’installation des câbles et l’architecture électrique », explique Etienne Gaudin. Wattway a équipé une vingtaine de sites pour tester différents usages et climats, notamment une aire d’autoroute en Amérique du Nord et un parking de supermarché au Japon. « Ce premier test à Tokyo est encore de la prospection, mais nous espérons entrer bientôt dans la commercialisation », annonce Etienne Gaudin.
« Routes bifonctionnelles »
Pour cela, la société doit aussi gagner la bataille des coûts. « Notre objectif n’est pas de concurrencer les tarifs des fermes solaires, mais ceux des panneaux en toiture, poursuit-il. L’avantage de Wattway est de ne pas occuper d’espace supplémentaire, de s’intégrer au paysage et de résister aux intempéries. La route solaire prend tout son sens dans les territoires contraints comme les îles ou les lieux avec des contraintes architecturales, comme des monuments classés. »
Pour Daniel Lincot, l’avenir de la route solaire ne fait aucun doute. « Nous avons d’un côté des besoins énormes en énergies renouvelables. Et, de l’autre, des milliers de kilomètres de routes à rénover. On gagne donc sur les deux tableaux en les rendant bifonctionnelles », affirme-t-il. Et les coûts ? Le chercheur balaie l’argument d’un revers de main. « Ils diminuent fortement avec le temps. Regarder les panneaux solaires, leur prix a baissé de 80 % en cinq ans ! » Un mouvement qui pourrait d’ailleurs s’enclencher très vite, Wattway n’étant pas le seul acteur sur le marché : la Chine vient d’inaugurer une autoroute solaire de deux kilomètres. La course est lancée.